Je vous avais déjà parlé de
Tank, un roman original de Orin. L'auteur m'a très gentiment proposé de faire une
interview et comme j'aime bien tester de nouvelles choses, je me suis lancé. Je tiens à remercier Orin pour sa gentillesse, sa compréhension et sa disponibilité, et voici donc le résultat
de cette interview réalisée par mail.
Bonjour, Orin. Deux questions pour commencer : Pouvez-vous vous présenter ? Pourquoi avoir choisi ce
pseudonyme de Orin ?
Bonjour Pierre, je suis auteur de romans, avec deux influences principales : le roman noir (au sens de critique sociétale) et l’Heroic
Fantasy.
Ce pseudonyme d’Orin est un hommage direct à mon département de naissance. À savoir le Haut-Rhin. J’ai toujours pensé qu’un pseudonyme,
puisqu’on peut le choisir contrairement à son nom, doit renvoyer à quelque chose qui nous est cher. Dans le Haut-Rhin se trouvent ma famille, mes amis et mes plus beaux souvenirs. Vous aurez
compris que ce petit coin de France compte beaucoup pour moi.
Pourquoi avez-vous choisi d’écrire ?
Mon grand-père maternel était conteur. Inventer des histoires a toujours fait partie de mon quotidien familial. Ainsi, pour moi, écrire est
quelque chose de naturel, de quasi instinctif. Je n’ai pas choisi d’écrire, j’écris !
Revenons à votre travail. Comment écrivez-vous ? Est-ce le matin, le soir ? Prenez-vous des notes ?
Travaillez-vous votre intrigue ou est-ce écrit au fil de l’eau ?
Je n’ai pas de préférence d’horaires. J’écris dès que je peux. Comme tout à chacun, je travaille pour vivre. Il m’a donc fallu
« apprendre » à optimiser ma semaine pour pouvoir écrire le plus possible.
Au début, je rédigeais au fil de l’eau. Mais rapidement, je me suis rendu compte que pour tenir en haleine et intéresser, un texte doit être
structuré. Un plan s’est vite avéré indispensable. Le plan permet de ne plus avoir à se soucier de l’histoire pour pouvoir se concentrer sur le style.
Quels sont vos auteurs préférés et ceux qui vous inspirent ?
Parmi les auteurs classiques, deux sont centraux dans mon panthéon : Fédor Dostoïevski et Louis Ferdinand Céline. L’un pour la psychologie
des personnages, l’autre pour la complexité et la générosité de son style.
Chez mes contemporains, Paul Auster et Chuck Palahniuk emportent la palme. J’aime les auteurs qui ne se contentent pas d’écrire une histoire,
mais qui lui donnent également une musicalité. Le style compte beaucoup pour moi.
Qu’en est-il du cinéma, acteurs, réalisateurs ?
de la musique ?
Le cinéma français des années soixante me correspond. Melville est certainement le cinéaste que je préfère. Je peux regarder en boucle le
Samouraï, ou le cercle rouge. Je conseille également la nuit du chasseur, avec Robert Mitchum. Ce film a une ambiance unique qu’il doit aux décors, et bien sur aux acteurs,
notamment les deux enfants.
Pour la musique, Lou Reed, UFO, Jaques Brel et Édith Mitchell m’accompagnent au quotidien. Je viens de découvrir Stromae et son titre Te
quiero. Ce gars à quelque chose de puissant et de bouleversant.
Pouvez-vous nous parler de votre premier roman, aux quatre coins du cercle paru en 2008 aux éditions Chloé des
lys ?
Ce roman est l’histoire d’une jeune femme prénommée Chloé qui est à la recherche de son identité. Elle idolâtre son père mort alors qu’elle
n’était encore qu’une petite fille, et déteste sa mère. Au point de crier partout qu’elle est morte.
Dans ce livre, j’ai essayé de raconter des faits identiques rapportés par différents protagonistes. J’utilise beaucoup de procédés du cinéma
comme le feed-back, le gros plan (par le biais de descriptions très détaillées), ou au contraire le plan large où les détails s’estompent au profit de l’ensemble, pour obtenir un effet fuyant,
presque liquide.
À propos de Tank, ma première question est pourquoi ce titre ? Et pourquoi avoir choisi ce nom pour la revue pour
laquelle travaille le narrateur ?
Le roman est parti de ce mot. J’aime sa sonorité et son orthographe. Je me suis demandé ce que ce nom pouvait représenter au-delà de son sens
premier, à savoir un blindé. Je voulais toutefois que l’histoire contienne l’idée de force, de puissance de feu. Le Rédacteur est en quelque sorte le pilote de ce formidable engin, alors que le
personnage principal en est son artilleur déjanté, avec sur les oreilles un casque qui balance sans cesse du rock. Je vous laisse imaginer quel genre de bavure peut commettre un tel
individu.
Une question de Hocine : Pourquoi avoir choisi de ne pas donner de nom au
narrateur ?
C’est une question qu’on me pose souvent. Tout le monde connaît Arsène Lupin ou encore Sherlock Holmes. Combien de personnes connaissent le nom
de leur auteur ? Je ne voulais pas que ce salopard me fasse le même coup. Plus sérieusement, l’absence de prénom ne concerne pas que le narrateur, aucun personnage récurant n’a de prénom, en
dehors de Géraldine. D’ailleurs, ce prénom est une sorte de fourre-tout qui revient sans cesse et désigne à peu près tout ce qui est féminin dans cette histoire. J’ai fait ce choix, car je
voulais un personnage principal avec des obsessions qui balaient tout, jusqu’au prénom des autres, du sien aussi bien sûr. La seule chose qui compte c’est Géraldine.
Au-delà de ces considérations narratives, j’ai pris ce parti du « quasi-anonymat » pour que les protagonistes s’effacent devant le
vrai personnage principal : la langue française. C’est un choix de pur style.
Ce narrateur apparaît tout d’abord comme un provocateur, plus qu’un pourfendeur de nazillons, puis comme une cible pourchassée puis comme un lâche puis comme un irrévérencieux limite
anarchiste pour finir comme Monsieur tout le monde. Cette évolution était-elle voulue ?
Ce personnage est un sacré sac de nœuds, je le concède volontiers. Il a rapidement gueulé haut et fort pour avoir son indépendance. Les
évolutions que vous citez sont le résultat de nos empoignades et de nos concessions à l’un et à l’autre. Je voulais en faire un assassin d’enfants, il a préféré être père, et a gagné. Il voulait
faire sauter l’église dans laquelle on le voit en prise avec un curé détestable. Il finit par fuir pour embarquer dans le pick-up de l’Autrichien, qui lui avait d’autres projets pour cette
église. Ce coup-ci, c’est moi qui ai gagné.
J’aimerais que l’on parle du style. Vous avez choisi un langage parler. N’avez-vous pas peur de rebuter les
lecteurs ?
Comme je le dis un peu plus haut, le vrai personnage principal dans ce roman est le style. Tout, ou à peu près, à déjà été écrit. Le roman n’a
plus le rôle sociologique qu’il pouvait avoir au 19e siècle. Pas plus qu’il n’a encore ce rôle psychologique si brillamment exploité au 20. Que nous reste-t-il ? Le style !
Si on prend le roman policier, on se rend compte qu’on tourne toujours autour des mêmes figures : le flic revêche, un brin alcoolo,
divorcé, qui vit dans un appart dégueulasse. Ou alors le journaliste qui se rêvait flic, etc. Tout le monde connaît ces clichés. Tout le monde reconnaît également assez vite le style de ces
romans, qu’on appelle de gare : sujet, verbe, complément. Ça a très bien marché jusqu’à présent. Et ça continue d’ailleurs et tant mieux !
De mon côté, je cherche à aller plus loin. Si tout a déjà été dit, et bien il faut le dire autrement. Dans votre question, vous mentionnez le
style parlé. Pour Tank, c’est loin d’être exact. Ce roman, comme un mille-feuille, est composé de couches de langages différents. J’utilise aussi bien le français populaire, le discours technique
propre a différentes professions comme le journalisme, ou la restauration, j’emploie l’argot et enfin des formes assez soutenues du français. Ce bouillonnement langagier, où je multiplie les
redondances, où j’exploite les champs lexicaux est là pour servir l’histoire. Il doit la rendre non seulement compréhensible à la lecture, mais également visible. Je ne veux pas seulement
raconter une histoire, je veux également la montrer. Ainsi derrière ce qui peut paraître spontané, puisque le narrateur n’arrête pas de cavaler, il y a de longues heures de travail. Des dilemmes
atroces entre le choix d’un mot plutôt que son synonyme. Avant de trouver le bon mot, je me suis farci une palanquée de sosies, tous plus malins et roublards les uns que les autres, qui vous font
des clins d’œil d’académicien, dirait le narrateur de Tank.
Des scènes sont vraiment très réussies et très drôles, sont elles des scènes vécues, fantasmées ou créées de toutes
pièces ?
Merci pour le compliment. Ces scènes sont créées de toutes pièces. Simplement, pour rendre le récit captivant, et rythmé, je devais le parsemer
de nœuds dramatiques, comme l’on dit dans le cinéma. C’est vrai, que j’y suis allé fort. Aucun de mes chapitres ne ronronne, ou ne part dans de longues descriptions. En fait, je déteste ça. Je
veux que ça bouge, qu’on rigole, qu’on ait du mal à fermer le livre. En même temps, il était important que les chapitres ne soient pas trop longs pour accentuer l’effet de vitesse, et donner un
côté punchy à l’ensemble.
À propos de Géraldine, ce prénom qui est constamment présent dans le roman. Est-ce un clin d'œil, un fantasme refoulé,
un rêve inatteignable, un trait d'humour sans a priori ou juste un effet littéraire ?
J’étais à mille lieues de l’expression fortement connotée « une Géraldine ». Comme je vous l’ai dit, ce prénom est à peu près le seul
dans le récit. Il est là pour accentuer le côté obsessionnel du narrateur, puisque tout ce qui est féminin se nomme ainsi et semble le poursuivre. Mon choix s’est porté sur ce prénom, car il est
passe-partout, il peut désigner aussi bien une épouse, une sœur, une amie, etc. En même temps, sa sonorité ringarde m’a toujours agréablement chatouillé le creux de l’oreille.
Parlons un peu de l’avenir : quels sont vos projets ? Envisagez-vous de faire une suite ou d’écrire quelque
chose de totalement différent ?
Grâce à votre blog, quelques-uns de vos lecteurs se sont intéressés à Tank. Certains se sont attachés au narrateur et m’ont clairement dit qu’il
aimerait le retrouver. À la base, ce texte est un one shot comme l’ont dit dans la bd. Mais l’auteur ne contrôle rien, c’est connu. Ainsi, une suite n’est pas impossible. Tout dépendra du destin
de Tank, s’il rencontre ou non un lectorat.
Je travaille sur plusieurs projets, notamment des nouvelles d’Heroic Fantasy et un roman policier pur jus, dont je fignole encore le
plan.
Pour finir, le célèbre questionnaire de Proust (l’original, s’il vous plait !) :
1- Le principal trait de mon caractère.
L’impatience.
2 - La qualité que je préfère chez un
homme.
L’humour.
3 - La qualité que je
préfère chez une femme.
La patience.
4 - Ce que j’apprécie le plus chez mes amis.
Leur fidélité.
5 - Mon principal défaut.
Je suis dépourvu du sens de la diplomatie.
6 - Mon occupation préférée.
Prendre mon café du matin sur ma toute petite terrasse.
7 - Mon rêve
de bonheur.
Avoir une grande terrasse.
8 - Quel serait mon plus grand malheur ?
J’évite de
penser à ça.
9 - Ce que je voudrais être.
Un chien de salon.
10 - Le pays où je désirerais vivre.
La France me va très bien.
11 - La couleur que je
préfère.
Le rouge.
12 - La fleur que
j’aime.
Le nénuphar
13 - L’oiseau que
je préfère.
Le pinson.
14 - Mes
auteurs favoris en prose.
Dostoïevski, Céline.
15 - Mes poètes préférés.
Lautréamont et
Verlaine.
16 - Mes héros dans la fiction.
Bardamu, les trois frères Karamazov et Tuco dans le bon, la brute et le truand.
17 - Mes héroïnes favorites dans la
fiction.
Ellen Ripley dans alien.
18 - Mes compositeurs préférés.
Ennio Morricone et
Beethoven.
19 - Mes peintres favoris.
Georges Seurat et Edvard Munch.
20 - Mes héros dans la vie réelle.
Les hommes et les femmes de bonne volonté
21 - Mes héroïnes dans
l’histoire.
Charlotte Corday et Marie Curie.
22 - Mes noms favoris.
Géraldine.
23 - Ce que je déteste par-dessus tout.
Les leçons de morale.
24 - Personnages historiques que je
méprise le plus.
Raspoutine et Rodrigo de Borja.
25 - Le fait militaire que j’admire le plus.
La bataille
d’Arcole.
26 - La réforme que j’estime le plus.
La mise en place de la sécurité sociale en 1945.
27 - Le don de la nature que je voudrais avoir.
La bosse des maths.
28 - Comment j’aimerais
mourir.
En rigolant.
29 - État
présent de mon esprit.
Un gros coup de fatigue.
30 - Fautes qui m’inspirent le plus d’indulgence.
Les vols à l’étalage
pour des raisons alimentaires.
31 - Ma devise.
Tout ce qui augmente la liberté augmente la responsabilité (V. Hugo).
Merci beaucoup Orin. Tank est publié chez Kirographaires et mon billet est là.