Putain, deux ans ! Comme disaient les Guignols de l’info. Deux ans que je l’attends, ce roman de Antonin Varenne. Deux ans, depuis le choc Fakirs et le
premier coup de cœur de Black Novel. Eh bien, le voici ! Et c’est un coup de cœur … encore !
Avril 2008. Combat de boxe sordide entre un jeune homme d’une vingtaine d’années et un autre boxeur de quarante ans. Le combat est âpre, difficile entre Gabin le jeune et Georges Crozat le flic, dit le mur. On l’appelle comme cela car il sait encaisser. Il est patient, prend les coups, et surveille les faiblesses de son adversaire. Il reçoit d’innombrables coups, les supporte mais aime ça. Puis, au cinquième round, Gabin est fatigué, baisse sa garde, et Le Mur le cueille d’un uppercut magistral : KO
A la fin du match, Paolo, son entraîneur, est fier de lui, même s’il aurait préféré qu’il attende le sixième round pour le descendre. Se pointe alors le Pakistanais, qui lui propose un marché : tabasser des mecs pour une bonne somme, tout cela sans risque, pour venger quelques cocus. Le Mur refuse puis finit par accepter cette manne qui va lui permettre de se payer quelques putes supplémentaires. Un bristol glissé dans sa boite aux lettres, le nom de la future victime et voilà Crozat devenu le poing armé de la pègre. C’est le tour de Dulac puis de Brieux puis de deux autres hommes, jusqu’à ce qu’il croise le chemin de Bendjema, qui va lui ouvrir les yeux.
1957. Verini est un jeune homme issu d’une famille d’ouvriers. Son père lui a dit : « casse toi, ne viens pas travailler à l’usine ». Alors, il s’applique pour ses études de dessin industriel puis s’engage dans l’armée. Avec l’aide du piston du père de sa petite amie, il est envoyé en région parisienne. Mais le coup de piston a un prix : il ne doit pas revoir sa copine. Il refuse alors l’autorité et reçoit sa punition : la mesure disciplinaire est de l’envoyer en Algérie, en plein cœur du conflit.
Après le choc Fakirs, attendez vous à une deuxième rafale, toute aussi puissante. Et là où Antonin Varenne montrait notre société avec une enquête sur un jeune homme qui se transperçait pour son public, cette fois ci, il nous oblige à regarder ce que beaucoup ne veulent pas se rappeler : la guerre d’Algérie. Entre les entraînements et les images de propagande, tout est bon pour monter les gentils Français contre les méchants Algériens. Puis, ce sont les descriptions des DOP (les Dispositifs Opérationnels de Protection), cette institution de torture des ennemis. Et, encore une fois, l’auteur nous décrit cela au travers de Verini sans prendre position, ce qui en rajoute encore dans notre imaginaire à nous, lecteurs. « La guerre ne forme pas la jeunesse, elle la viole ».
Et puis, on a encore affaire à de beaux portraits d’hommes entre Crozat, ce policier municipal, « même pas policier », boxeur bientôt à la retraite, désespérément seul, qui aime la douleur, qui est vide comme une baudruche, qui est bigrement attachant aussi. Brahim Bendjema, un vieil algérien qui a tout vu, tout connu et qui trouve la bonne raison au bon moment pour se venger, essayer de créer un semblant de justice, et Verini, ce jeune homme devenu un homme vide, une victime dans le clan des gagnants / perdants marqué à vie et qui veut juste oublier.
L’ambiance est lourde, glauque, violente, malsaine, avec toujours cette qualité pour les dialogues. Par contre, j’ai l’impression d’une grande progression dans l’utilisation de la langue, une volonté de ne pas en rajouter, mais de trouver les mots justes, les verbes qui frappent. C’est un roman que j’ai lu lentement, buvant chaque mot, avalant chaque phrase de peur de rater un moment ou une expression important. C’est le roman de la maturité pour Antonin Varenne, le roman qui ne se lit pas comme on lirait un thriller mais qui se déguste comme un verre de cognac : doucement mais avidement, avec un goût âpre et inoubliable sur la fin. Bienvenue dans l’horreur, celle qui fait mal aux tripes.
La dernière page du livre est un hommage de l’auteur pour son père, ce père qui a connu ces horreurs, qui a tout caché jusqu’à dévoiler quelques bribes du passé avant de mourir. De cette page, avec cette page, le roman prend un tout autre éclairage, devient d’autant plus éblouissant, plus lourd à porter aussi. Votre père peut être fier de vous, M.Varenne.