Hervé Sard est
un auteur que j’ai eu l’occasion de rencontrer plusieurs fois lors de salons et cela faisait un certain temps que je voulais lire un de ses romans. Il fallait que je choisisse entre Morsaline et
Le crépuscule des gueux. C’est ce dernier que je vous présente ici :
De nos jours, en région parisienne. Trois jeunes femmes viennent d’être poussées sous le RER en quelques semaines du haut du pont de Chaville. Vraisemblablement, ce
qui, au départ peut apparaître comme des suicides, se transforme vite en possibles assassinats. La police judiciaire va donc enquêter, sachant qu’à coté de Chaville, se trouve le Quai des
Gueux.
Le Quai des gueux, c’est un petit village de SDF ; ce sont plutôt des gens, des vrais, des humais, des laissés pour compte abandonnés par la société qui se sont
regroupés dans des baraques en tôles pour vivre ou plutôt survivre. Luigi, le plus vieux, a subi 17 ans de prison pour avoir balancé sa femme sous un RER un jour qu’il était saoul. Môme, la
gentille du groupe, connaît son secret et le préviens que la police va débarquer alors il prend la fuite.
L’inspecteur Evariste Blond (à prononcer Blonde, il y tient !) est chargé de l’enquête. Il est affublé d’une stagiaire Christelle, qui n’a pas sa langue dans sa
poche (et elle chiante !) Blond ne croit pas en la culpabilité de Luigi, alors il demande à Christelle un service : Elle doit demandé à son colocataire Timothée, un étudiant philosophe baba cool
de se faire accepter au Quai des Gueux pour faire avancer l’enquête.
Je ne sais pas par où commencer tant ce roman regorge de qualités. Alors, commençons par les personnages, tous formidables. Il y a Luigi, qui ronge sa culpabilité
comme les rats rongent les cadavres, Môme, cette petite bonne femme qui à cause d’un coup à la tête oublie ce qui vient de se passer, Betty Boop la pute vieillissante, Bocuse le cuisinier qui
reste en retrait, Capo l’ancien militaire qui est naturellement le chef, Krishna l’allumé bizarre à la fois philosophe et le décalé de la vie. En face, le flic Evariste Blond, professionnel
jusqu’au bout des ongles et surtout Christelle, bavarde comme pas deux, toujours à dire mille mots pour rien. C’est tellement bien écrit qu’on passerait des jours à les écouter.
Car le style est écrit en langage parlé, chaque chapitre est narré par un des personnages, et cela donne une impression de véracité. Et avec beaucoup d’imagination,
Hervé Sard fait avancer son intrigue en faisant intervenir untel ou untel. Le principe est connu, mais avec autant de personnages, je n’en avais jamais lu. Et jamais on n’est perdu ! Et puis,
Hervé Sard déborde d’amour envers les caractères qu’il a créés, et ça, j’adore. Il y a très peu, quasiment pas de cynisme, mais beaucoup de respect.
Il y a aussi les titres des chapitres, comme autant de proverbes à retenir, les bons mots, les phrases tantôt humoristiques, tantôt terriblement et horriblement
réalistes. Il y a cette fluidité dans la narration, cette faculté à se mettre à la place d’une dizaine de personnages avec une telle facilité. Et puis, il y a des moments de pure comédie, comme
pour alléger le tout, car le sujet n’est pas gai, dont la première rencontre entre Krishna et Timothée qui vaut son pesant d’or, un vrai dialogue de philosophes sourds.
Enfin, il y a le contexte, ces gens exclus du système, mais qui se débrouillent par eux-mêmes, récupérant ce que les supermarchés jettent pour se nourrir, se créant
leur propre village, leur propre société. Le Quai des Gueux (dit quai « dédueu » par les bonnes gens) est finalement un miroir de notre vie, coté tain sombre. A l’inverse de Eric Miles Williamson
qui montre les pauvres ayant la rage contre la société américaine, Hervé Sard nous démontre le système D français. Dans les deux cas, il y est question de survie. Et finalement, les gens du Quai
des Gueux nous paraissent bien plus humains que beaucoup.