Krakoen nous a habitué cette année à savourer ses petits noirs. Ce sont des nouvelles d’une vingtaine de pages, à moins de 3 euros. Chacune de ces nouvelles est écrite par un auteur différent. La précédente livraison avait été dégustée là, voici donc les petits noirs de septembre, avec un petit arrière goût de cynisme.
Boarding, de Jean-Marc Demetz :
Midi, tu prendras l’avion et ce soir, tu revivoteras dans une autre ville d’un autre pays. Ne crois pas y trouver l’apaisement, fumier ! Même si tu as décidé d’enrayer ta série meurtrière,
rien ne retirera de ta tête de fêlé les flash-back qui te tire-bouchonnent les méninges. Tu subiras jusqu’au trépas le racket des remords qui taraudent ton corps à en vomir.
Mon avis : Il ne fait pas bon s’appeler Dupont sur l’ile. Un tueur décide de les supprimer pour réparer une injustice. Si le sujet évité le thème de la vengeance, il est bigrement agréable à lire et se termine en apothéose avec une fin qui, personnellement m’a fait éclater de rire. Jean Marc Demetz est un auteur qu’il va falloir que je lise.
Chapeau, de Hervé Sard :
Ces soirs-là, il ne se faisait pas
prier. Ses yeux brillaient du feu de ses excès. Du moins, c’est ce qu’on croyait. Il parlait, parlait, parlait encore avec sa drôle de voix. Un peu rauque, à cause du tabac. Envoûtante, étrange.
La voix d’un homme qui en avait vu des choses, qui ne voulait pas oublier. À qui cela faisait du bien de ressasser le passé. Alors il racontait l’histoire de Mistinguett, vedette d’un soir d’un
bal du 14 juillet.
Mon avis : Outre que j’ai rencontré plusieurs fois Hervé Sard dans les salons polar, outre le fait que j’ai adoré son Crépuscule des gueux, je dois avoué que je retrouve dans cette nouvelle tout ce que j’ai aimé : cette nouvelle est emplie d’humanisme, d’amour pour ses personnages, et si le sujet est noir, l’ambiance des petits bars où des gens qui ne se connaissent pas finissent par se fréquenter est remarquablement rendue, et l’histoire en ressort grandie par l’émotion qu’elle donne.
Lucille, de Franck Membribe :
A cet instant j’ai empoigné un
extincteur. Un acte réflexe. Le bruit des fixations arrachées au mur a fait sursauter le colosse. J’ai lu l’effet de surprise dans ses yeux juste avant de lui éclater la gueule avec le réservoir.
Il est tombé raide. Je n’ai jamais cogné aussi fort de toute ma vie.
— C’est qui ce nase ? Putain, Lucille !
Mon avis : Comme le narrateur, je suis tombé amoureux de ses fantasmes, de Lucille, de ses airs vaporeux, alors que je ne la connaissais pas avtn de tourner la première page. Une nouvelle très forte par son évocation, et d’autant plus cruelle par sa fin.
Ligne 13, d’Antoine Blocier :
Céline se retourna, prit peur à
nouveau. Ce malade la suivait. Vite, trouver un refuge, un lieu avec des gens, des flics… Heureusement elle savait courir et faufiler sa frêle silhouette avec agilité… Elle se retourna. Pas de
taré à l’horizon. Ouf ! Son cœur s’apprêtait à jaillir de sa poitrine… « On se calme, ma fille, se dit-elle, on se calme. »
Mon avis : Cette nouvelle est la démonstration que le vendredi 13 porte chance, quoique … vous vous doutez bien que, dans le domaine du noir, ça se termine comme on n’aurait pas pu l’imaginer. Eh bien, ici, on ne sait pas comment cela va se finir, jusqu’à la dernière ligne. Une lecture jouissive.
Encubé, de Frédéric Prilleux :
Un homme joufflu coiffé d’une casquette
marine contemplait avec dégoût l’un des cinq parallélépipèdes exposés exceptionnellement au premier étage de la maison du Bourreau. Les tableaux régionalistes de Mathurin Méheut avaient, pour un
temps, cédé leur place aux dernières créations de MasH…
Mon avis : Sous ses airs d’histoire qui démarre dans tous les sens, la construction aboutit dans une scène d’apothéose, démontrant tout l’humour noir de l’auteur sans que le lecteur n’y trouve une explication claire. Il est à remarquer aussi le style très court, très efficace, et un talent remarquable de poser le bon mot au bon endroit.