Voici donc le dernier roman en date de Arnaldur Indridason, et nous avons la chance d’avoir une livraison annuelle de très bon niveau, voire exceptionnelle. Après La rivière noire, qui était un bon roman policier centré sur Elinborg, c’est au tour de Sigurdur Oli d’être mis au centre de l’intrigue.
La vie privée de Sigurdur part en vrille. Son ménage avec Berthora est terminé, ils se sont séparés et cela semble irréversible. Sa mère, divorcée aussi, juge qu’il aurait pu mieux gérer sa vie, et son père doit passer sur la table d’opération pour sa prostate. Alors qu’il semble bringuebalé de droite et de gauche, sa vie professionnelle est menée avec rigueur. D’ailleurs, le roman s’ouvre sur une réunion d’anciens camarades de lycée. Tous ont formidablement réussi, dans le domaine des affaires ou de la finance, ont de superbes femmes, de superbes maisons, reviennent de superbes vacances. Cela fait tache d’huile avec le quotidien d’un policier.
Lors de cette réunion, un de ses amis Patrekur lui fait part que son beau frère Hermann pratique l’échangisme avec sa femme et qu’il fait l’objet d’un chantage de la part de la femme avec qui il a couché. Elle s’appelle Lina, vit avec son mari Ebby et pratique fréquemment l’échangisme. Patrekur demande à Sigurdur de raisonner Lina. Quand il arrive, celle-ci est mourante, agressée à coups de battes de base-ball. En parallèle, Andrès, un sans papier lui donne des indices qui pourraient l’aider à résoudre une affaire de pédophilie sur laquelle il a enquêtée jadis.
Après la rivière noire, je m’étais aperçu que le personnage de Erlendur me manquait cruellement. C’est donc avec une certaine appréhension que j’ai attaqué La muraille de lave, et je dois dire que ce roman est à classer dans les très bonnes enquêtes de la série. Car Arnaldur Indridason est un grand auteur de polar, et ce n’est une surprise pour personne si je vous dis que l’intrigue, je devrais dire les intrigues, est menée de main de maître.
Je me suis rappelé qu’en 2009, quand je lisais l’Homme du lac, j’avais souhaité qu’Indridason, qui avait fouillé le passé de son pays, nous donne son éclairage sur cette crise financière qui avait mis en faillite l’Islande avant qu’elle ne soit sauvée par le FMI. Tous mes espoirs, toutes mes espérances ont été grandement comblées par cet opus, et quel personnage mieux que Sigurdur Oli pouvait nous montrer tout cela.
Car Sigurdur Oli a fait ses études aux Etats Unis, il a adoré ce pays de la liberté, son libéralisme, avant de s’apercevoir que ce modèle de course effrénée vers l’argent et le profit immédiat était abject. Et c’est au travers d’un personnage pas forcément sympathique que Indridason nous assène ses quatre vérités. Sigurdur est un homme bourru, brut de décoffrage, direct, qui a des difficultés dans sa famille et sa vie personnelle car il ne sait pas communiquer ; il regrette sa femme quand elle l’a quitté.
Indridason nous fait aimer ce personnage, nous peint une société amorale dans laquelle il ne se reconnait pas. Et quand tout ce qui compte, c’est le fric à n’importe quel prix, alors les victimes sont nombreuses, et la moralité et le bon sens n’existent plus. Même la vie ne vaut plus rien. Ce roman, au-delà de ses enquêtes bien emberlificotées et emmêlées les unes dans les autres, est avant tout un acte d’humanisme, un plaidoyer à une société plus simple et plus saine. C’est un roman humain par un grand auteur.